Témoignage de Claude Milgram, enfant caché au Chambon de fin 1942 à 1945

Le témoignage est lu par Josette Milgram Todorovitch dans les jardins du Lieu de Mémoire, le 10 août 2024.

Josette a reçu des mains de Jean-Michel Eyraud, Maire du Chambon-sur-Lignon, la médaille de la ville, qu'elle remettra à son cousin Claude n'ayant pu se déplacer pour l'occasion.

Eliane Wauquiez (à gauche) et Josette Milgram

CLAUDE MILGRAM SE SOUVIENT DE SA PETITE ENFANCE AU CHAMBON
« Je me prête au jeu des souvenirs de cette petite enfance au Chambon. Mais si l’on décerne une médaille à ceux qui ont vécu, pour beaucoup, de façon passive ces moments… il faut saluer avant tout le courage des habitants du Plateau cévenol. »
J’ai été un enfant du Chambon-sur-Lignon… de fin 1942 jusqu’à la rentrée scolaire de l’automne 1945 à Lyon. Lyon où vivaient mes parents et où ils sont restés jusqu’à leurs derniers jours.
J’y suis donc resté de l’âge de trois ans à l’âge de six ans. Dès les premières images qui me viennent à l ‘esprit, je me revois poussant une petite brouette en bois. Le hameau de La-Bâtie-de-Cheyne est construit sur un terrain volcanique : des pierres banales d’un côté se révèlent, quand on les retourne, améthystes et cristaux en tous genres… Je les déterrais, les amoncelais et les rapportais dans ma brouette pour les déposer au pied d’un arbre mort. Dès qu’un champ était labouré, je me précipitais pour traquer mes pierres à même la terre retournée. C’était une quête spontanée. C’était mon trésor. J’aurais voulu l’exposer peut-être, mais il n’intéressait personne. Je ne sais même pas si je l’ai montré à mon petit frère Daniel… Lorsque j’y suis retourné, bien plus tard, je me suis rendu sur les lieux, mais je ne l’ai bien sûr jamais retrouvé mon arbre aux trésors...
J’ai été recueilli chez Nancy et Jean Olivier. Ils vivaient avec leur fille, Berthe, car leur fils était prisonnier de guerre. Le frère de Berthe n’a été libéré qu’à la fin de la guerre… avant de mourir quelques années plus tard dans un accident de la circulation.
À mon arrivée dans la famille, Berthe avait dix-huit ans, et ma tante Hélène Minkowski, qui a été accueillie en même temps que moi chez les Olivier, neuf ans.
Berthe, brune, cheveux mi-longs, yeux pétillants, est devenue ma petite maman. Elle me faisait jouer, elle s’occupait de moi. J’étais très proche d’elle.
On prenait nos repas tous ensemble à la table de la ferme.
Je suis toujours attachée à Berthe, comme je l’ai été tant qu’elle était de ce monde. Nous allions lui rendre visite, ma femme Lysiane et moi, pratiquement chaque année et nous avons fêté ses quatre-vingt-dix ans aux Barandons, en 2014, avec les familles Olivier et Kittler.
Mon oncle, Léon Minkowski, frère d’Hélène, vivait dans une autre famille.
Et c’est dans une troisième maison, chez les Kittler, que mon frère Daniel, qui avait huit mois à notre arrivée, a été placé. Ils vivaient à la Souche, une maison isolée, rattachée au hameau de La Bâtie, mais dans mon souvenir il fallait marcher longtemps pour y arriver… En y retournant, j’ai réalisé que ce n’était pas si loin que cela, comme bien souvent l’enfance abolit les distances…
Je ne suis jamais allé à l’école, il n’y en avait pas dans le hameau… je restais dans la famille. Et c’est la maman de Berthe, Madame Nancy Olivier, quand elle rentrait des prés, après la traite des vaches qui, chaque soir, à la veillée, m’enseignait les livres de Moïse.
J’avais été repéré comme un “Vieux testament”… c’est ainsi que l’on désignait, sur le plateau, à cette époque, tous les enfants recueillis par les familles cévenoles.
Cette Darbyste d’une piété profonde m’a appris énormément de choses relatives au Saint Livre grâce à ses commentaires sur les événements de la Torah. Je lui en sais abondamment gré…
Et je pense que cette reconnaissance, gravée à jamais dans ma mémoire, n’est pas pour rien dans le fait que j’ai décidé de faire mes études supérieures… à Nancy !!
Le père était très bon avec moi mais je ne le voyais pas souvent, un paysan a beaucoup de travail avec sa ferme…
Nous n’avions pratiquement aucune nouvelle du monde extérieur – et nos parents sont venus très peu nous rendre visite. Il fallait marcher longtemps depuis la gare et mon père nous a raconté plus tard qu’il emplissait ses poches de cailloux et de pierres au cas où il aurait eu à se défendre… Mais mes parents ne m’ont jamais manqué, ce dont ma mère, Berthe (!) a été mortifiée…
Nous avons eu la chance d’avoir toujours de quoi manger à notre faim.
Je revois des champs, des champs et des jonquilles à perte de vue… de là vient mon amour pour ces fleurs… J’ai un autre souvenir très précis, celui des hannetons. Un arbre, particulièrement, semblait les attirer. Nous les attrapions facilement (il suffit d’une pichenette pour les mettre à terre sans leur faire de mal), leur accrochions un brin de laine de couleur à la patte et organisions des courses à qui volerait le plus loin, le plus haut !
J’ai rencontré un seul autre enfant, caché comme moi, mais j’ai oublié jusqu’à son nom…
Une année, chez un voisin des Ollivier, on a tué le cochon – j’ai le souvenir de ce cochon sacrifié dans des conditions épouvantables, pleurant et criant exactement comme un être humain… Tout le hameau était réuni, je me suis senti mal et je suis parti tout seul dans la neige. Impossible de retrouver mon chemin sous la burle… Heureusement pour moi, un des participants à la fête s’est aperçu de mon absence et est parti à ma recherche.
 

CLAUDE, JOSETTE ET LYSIANE MILGRAM
ENTOURANT BERTHE OLIVIER À LA FÊTE DE SES 90 ANS

J’ai été un enfant sauvé… une seconde fois !
Mais le plus ironique de l’histoire, c’est que nous, Daniel, Hélène, Léon et moi, nous sommes arrivés sur le Plateau… par défaut. Si l’OSE nous a finalement dirigés vers Le Chambon-sur-Lignon, c’est qu’elle ne nous a pas trouvé de place là où elle pensait nous mettre en sécurité.
Nous étions sur liste d’attente… pour la Maison d’Izieu.