Par les temps qui courent, où l’antisémitisme se déchaine, il est nécessaire de remettre en avant l’action d’hommes courageux qui ont sauvé des Juifs au péril de leur vie.
Aimé Malécot fut l’un de ceux-là entre 1940 et 1944, entre Saint-Étienne et le Chambon-sur-Lignon.
Il est né à Saint-Étienne le 2 février 1896 dans une famille protestante. Après des études au lycée Claude Fauriel de Saint-Étienne puis à l’Ecole Spéciale des Travaux Publics à Paris, il intègre le cabinet d’architecture de son père, Charles Malécot, au début des années 1920.

Parallèlement à ses activités professionnelles, Aimé Malécot apporte son concours à diverses œuvres caritatives d'obédience protestante, notamment "L’Œuvre des enfants à la montagne" créée par le pasteur Louis Comte qui permet à des enfants de familles modestes, notamment de mineurs de Saint-Étienne, de passer des vacances au Chambon-sur-Lignon pour profiter du grand air de la vie à la campagne.
Quand la seconde guerre mondiale éclate, Aimé Malécot est mobilisé à l'âge de 43 ans en tant qu'officier de réserve, commandant d'une batterie de "75". Le capitaine Aimé Malécot est un des rares officiers à ramener son unité, ce qui lui vaut la croix de guerre 1939-1940 avec cette citation : Commandant de batterie qui a constamment fait preuve de qualités de commandement, d’énergie et de dévouement. Quoique ne disposant que d’un matériel automobile insuffisant, a néanmoins ramené sur des routes bombardées et embouteillées la totalité de son matériel d’artillerie parce que payant de sa personne et donnant le plus bel exemple.

Démobilisé, Aimé Malécot, farouchement opposé à la collaboration et au maréchal Pétain, entre immédiatement dans la Résistance, aux côtés d'Eugène Claudius-Petit, Pétrus Faure, André Philip et François de Menthon. Il intègre les Mouvements Unis de Résistance (MUR), puis le Mouvement de Libération Nationale, dans la Loire.
Dans ses Mémoires publiées en 1962, Petrus Faure écrit : « Le parti socialiste chargea Petrus Faure de former un groupe de résistance politique avec le parti radical-socialiste et le parti démocrate-chrétien … Les réunions avaient lieu fréquemment dans les bureaux de l’architecte Malécot qui ramenait de Lyon dans sa voiture les journaux clandestins. »
Aimé Malécot sera promu officier de la Légion d’honneur par décret du 17 septembre 1946. Dans son dossier, son rôle dans la Résistance est souligné : Membre de la commission exécutive fédérale du Parti socialiste clandestin dont toutes les réunions locales, départementales et beaucoup de réunions régionales se tenaient chez lui dès 1941. Officier de liaison dans l’Armée secrète dès 1943. Agent de renseignement de l’Intelligence Service, dans les groupes Peillon et Longchambon. Distributeur régional de tracts et journaux clandestins, Le Populaire, Libération, etc.
Il participe aussi activement, aux côtés des pasteurs André Trocmé et Edouard Theis, au sauvetage de plus de deux mille Juifs par la communauté protestante du Chambon-sur-Lignon et des villages environnants (cf. « Mais combien étaient-ils ? » de Muriel Rosenberg, editions Dolmazon). Il le fait en fabriquant de vrais-faux papiers d'identité dans son cabinet d'architecture à Saint-Étienne. Ces papiers sont ensuite remis aux pasteurs du Chambon-sur-Lignon, notamment via Mireille Philip, la femme d’André Philip, qui, elle, était restée au Chambon-sur-Lignon, alors que son mari, député SFIO, avait rejoint De Gaulle à Londres. Dans ses mémoires, Magda Trocmé, la femme d’André Trocmé, écrit : Je devais aller à Saint-Étienne. Mireille Philip me demanda d’aller chez monsieur Malécot…et de lui rapporter une boite qu’il devait me donner. Je ne savais pas de quoi il s’agissait… C’est seulement plus tard, beaucoup plus tard que j’ai su que des tampons pour fabriquer de fausses cartes d’identité y étaient enfouis. (cf. Souvenirs autobiographiques de Magda Trocmé cités par Pierre Boismorand dans "Magda et André Trocmé, figures de Résistance").
Les "faussaires" du Chambon-sur-Lignon (ceux qui ont fait des faux papiers au Chambon) ont donc utilisé les vrais tampons d’Aimé Malécot. Celui-ci récupérait ces tampons dans les mairies ou les préfectures du sud de la France dans lesquelles il avait des chantiers (il a construit dans tout le Midi). Les employés de ces mairies lui donnaient ces tampons officiels, dits timbres Marianne, qui permettent d’authentifier les documents délivrés par les communes, en toute connaissance de leur future utilisation. Autant dire que ces tampons étaient très précieux et indispensables pour faire de faux papiers crédibles. Aimé Malécot récupérait aussi dans ces mêmes lieux de vraies cartes d’identité et cartes de ravitaillement prêtes à être remplies qu’il pouvait par la suite reproduire dans son cabinet d’architecture. Ces tampons et ces fausses cartes prêtes à être remplies ont été remis au Lieu de mémoire du Chambon-sur-Lignon.

Dans le livre d'Emmanuel Deun, Le village des justes, le Chambon-sur-Lignon de 1939 à nos jours, l’auteur interroge Yvette Malécot, fille d’Aimé Malécot. Celle-ci lui dit qu’elle se souvient avoir caché des faux papiers dans le jardin de la maison familiale, rue Docteur Charcot à Saint-Étienne, avant que Magda Trocmé ne vienne les chercher pour les donner à des réfugiés.
Dans son cabinet d’architecture Aimé Malécot imprimait aussi de faux laissez-passer pour faire passer en Suisse les juifs cachés au Chambon, suivant plusieurs itinéraires, dont l’un passait par Saint-Étienne et était piloté par Aimé Malécot et son amie Dora Rivière, protestante, médecin, qui sera arrêtée et déportée à Ravensbrück. Elle en reviendra en avril 1945, et recevra à titre posthume, en 2011, le titre de "Juste parmi les nations".
Il se rend lui-même en Suisse, après avoir demandé pendant plusieurs mois un visa à la préfecture de Saint-Étienne. Le Préfet de la Loire, s’interrogeant sur les raisons qui poussaient un architecte de Saint-Étienne à aller en Suisse en 1942, demande aux Renseignements généraux de faire une enquête sur Aimé Malécot. Les notes des RG au Préfet existent toujours. Elles sont classifiées aux Archives nationales. Aimé Malécot demande un visa pour lui, sa femme et ses enfants pour aller consulter un médecin suisse de Genève, le Docteur Schmidt. La note des RG revient avec des annotations manuscrites du Préfet, très dubitatif et demandant aux RG de creuser leur enquête. Finalement, après plusieurs allers-retours et quelques mois, les visas sont accordés. Ils serviront de modèle pour les visas des réfugiés juifs du Chambon, et Aimé Malécot va voir le docteur Schmidt pour organiser l’arrivée des réfugiés à Genève. Le docteur Schmidt finira ses jours à Tence, juste à côté du Chambon-sur-Lignon, en 1987.
Après la guerre l'architecte Aimé Malécot construira les bâtiments du Collège Cévenol au Chambon-sur-Lignon.
Au lendemain de la Libération de Saint-Étienne, Aimé Malécot, membre de la commission des municipalités du Comité départemental de Libération, aspire à une vie normale. Le journal "L’Espoir", issu de la résistance gaulliste, écrit en septembre 1945 : "Après la Libération Aimé Malécot rentre dans le rang. Il a accompli son devoir de français, de patriote, de républicain. Il ne réclame aucun honneur. Les tâches les plus obscures où l’on sert le mieux ses concitoyens lui suffisent. Aujourd’hui, Aimé Malécot, cédant aux instances de ses compagnons de la vie clandestine du Parti socialiste et de l’U.D.S.R. (Union démocratique et socialiste de la Résistance) accepte d’entrer dans la vie politique".
Fin septembre 1945, lors des premières élections libres, Aimé Malécot est élu Conseiller général. Puis il est élu président du Conseil général de la Loire qui se substitue au Comité de Libération de la Loire.
Il crée alors l’Association des Présidents de Conseils généraux (APCG) qui deviendra l’Association des départements de France, et il en devient le premier président.

Aimé Malécot est ensuite élu sénateur en 1948 et rejoint le groupe de la gauche démocratique.
Il quitte le Sénat en 1955 et ne se représente pas pour des raisons de santé. Il meurt à Saint-Étienne le 29 décembre 1960 des suites d'une leucémie. Une rue de Saint-Étienne porte son nom.

Aujourd’hui les seuls éléments tangibles du Lieu de Mémoire du Chambon-sur-Lignon sont les tampons, les cartes d’identité, et les tickets de rationnement prêts à être remplis par les « faussaires » du Chambon avec les noms des juifs cachés au Chambon ou en partance pour la Suisse.
L’action d’Aimé Malécot a ainsi permis le sauvetage de centaines de juifs anonymes. Son rôle, celui d’un petit Schindler du Chambon sur Lignon, a été oublié pendant des années jusqu’à aujourd’hui.